Nous mettant en lumière les principaux enjeux des marchés du carbone et les perspectives d'action des entreprises à l'horizon 2024.
Frederic Gagnon-Lebrun, Senior Director, Climate Policy, Finance and Carbon Markets :
Le bilan global est plutôt positif : cette édition a notamment abouti sur la création d'un fonds d'investissement consacré aux pertes et dommages causés par le changement climatique, et destiné à aider les pays vulnérables à faire face à ses conséquences les plus néfastes. L'UE et les États-Unis, entre autres, ont également pris des engagements financiers notables.
La conférence a par ailleurs acté le premier « bilan mondial », contenant tous les éléments ayant fait l'objet de négociations, et permettant ainsi aux pays et parties prenantes de faire le point sur le progrès collectif et la réalisation (ou non) des objectifs de l'Accord de Paris. Ce bilan doit servir de base aux gouvernements et aux entreprises pour formuler des plans d'action climatique plus ambitieux d'ici 2025, et définir des objectifs à l'horizon 2035 et 2040.
Dans le cadre de ce bilan mondial, les pays se sont accordés pour « abandonner les combustibles fossiles d'ici 2050 » et tripler les capacités en matière d'énergies renouvelables.
Bien que cette décision ne marque pas la fin des combustibles fossiles, nombreux sont ceux qui saluent ce jalon comme le « début de la fin » de l'ère des combustibles fossiles. Quoi qu'il en soit, la collaboration internationale, les incitations politiques et les solutions de financement devront contribuer à amplifier ce mouvement.
Ritika Tewari, Senior Managing Consultant, Climate Policy, Finance and Carbon Markets :
Bien qu'il y ait eu des progrès sur certains points, d'autres restent en suspens. C'est le cas des négociations autour de la mise en oeuvre de l'article 6, pour lequel les règles communes qui auraient permis de créer et de réguler le marché du carbone n'ont pas été définies. Cet article 6 est pourtant considéré comme essentiel dans l'atteinte des objectifs climatiques des pays et des entreprises.
Cette année, aucune décision n'a été prise concernant la précision des articles 6.2 et 6.4, qui régissent la mise en œuvre des accords bilatéraux et des marchés du carbone (pour en savoir plus, cliquez ici).
L'absence d'accord portant spécifiquement sur l'article 6.4 est préoccupante. L'objectif de cet article est de créer un marché mondial du carbone, supervisé par une entité des Nations unies dans lequel des pays, des entreprises ou même des particuliers pourraient acheter des crédits générés par le financement de projets de réduction ou de séquestration du carbone. Ces crédits devraient être approuvés à la fois par le pays dans lequel il est mis en œuvre et par l'organe de surveillance et de contrôle, avant leur délivrance. Or, le fait de ne pas avoir défini de règles de fonctionnement claires rend ce marché inexploitable pendant au moins un an encore, en attendant la suite des négociations lors de la COP29.
Notre équipe suivra malgré tout de près les actions du comité de supervision de l'article 6.4, en passant en revue les efforts déployés dans le cadre de cet article jusqu'à la fin de l'année 2024. Selon Andrea Bonzanni, directeur de la politique internationale à l'IETA: « Nous avons manqué l'occasion de mettre en place un mécanisme efficace d'attribution de quotas d'émission, qui aurait permis d'établir des normes de qualité élevées en matière d'intégrité environnementale, de protection et de droits de l'homme ».
Les participants à la COP28 ne sont pas non plus parvenus à se mettre d'accord sur les principaux détails de l'article 6.2, qui concerne quant à lui les échanges de crédits carbone entre les États. Cet article repose sur une approche « coopérative », non encadrée par une entité supérieure. Cependant et malgré l'absence de consensus international sur la mise en oeuvre de l'article 6.2, les pays déjà engagés dans l'achat de crédits et le financement de projets climatiques à impact pourront continuer à opérer selon les mêmes modalités, ce qui est une excellente nouvelle pour les projets, les écosystèmes, la biodiversité et le développement des communautés locales.
En résumé, l'absence d'accord quant à l'article 6 retarde d'autant l'intégration du Marché Volontaire du Carbone (MVC) dans le cadre réglementaire de l'Accord de Paris. La majorité des parties prenantes du marché qui espéraient plus de clarté continueront néanmoins à définir et mettre en œuvre les modalités de leur coopération en ce domaine.
« Nous ne devons pas nous arrêter en si bon chemin. Il est essentiel de continuer à collaborer, les incitations politiques et les solutions de financement pouvant contribuer à amplifier cette évolution. » - Frédéric Gagnon-Lebrun, Senior Director, Climate Policy, Finance and Carbon Markets
Ermenegilda Boccabella, Director of Public Affairs:
"Cette COP a vu des évolutions significatives dans le paysage mondial de la conformité climatique. De nombreuses lois et réglementations ont déjà été définies et mises en œuvre à l'échelle des pays. Ces mesures définissent les modalités d'usage des instruments financiers du marché du carbone volontaire. Indépendamment des résultats de la COP, nous prévoyons que cette tendance se confirmer, reflétant notamment un engagement croissant des instances gouvernementales vis-à-vis des marchés."
À l'avenir, nous nous attendons à ce que les politiques nationales gagnent en importance et en influence par rapport aux négociations de l'ONU, notamment autour de l'article 6. Cela signifie que des investissements volontaires significatifs seront nécessaires au sein des pays, pour développer leur compétence en matière d'action climatique, leur capacité à collaborer et l'impact de leur stratégies de transition environnementale.
Frédéric Gagnon-Lebrun, Senior Director, Climate Policy, Finance and Carbon Markets
La collaboration de l'ensemble des parties prenantes a été un aboutissement majeur de la COP28, au sujet notamment du marché volontaire du carbone. La création d'une infrastructure pour l'interopérabilité des marchés - du MVC et de l'article 6 - est une initiative prometteuse, car elle permettra de concrétiser l'ambition et le financement de la transition de l'ensemble des secteurs technologiques sur les différentes zones géographiques.
En revanche, l'absence de décision engageante signe le début d'un délai d'un an - d'ici la prochaine COP - dans le développement des marchés carbone selon les modalités de l'article 6.4. Cette inertie relative met l'accent sur la nécessité d'accélérer la mise en oeuvre des dispositifs opérationnels dont nous disposons déjà, tels que l'article 6.2 et le MVC, qui fournissent un ensemble d'outils permettant déjà de définir ce à quoi les marchés à haute intégrité pourraient et devraient ressembler à l'avenir.
Pour reprendre les propos d'Alexia Kelly, membre du conseil d'administration du Conseil d'intégrité du marché volontaire du carbone (IC-VCM) :« Il est essentiel d'établir une réglementation internationale stricte pour assurer la robustesse et la pérennité du marché volontaire du carbone (MVC) indépendamment des accords conclus à l'ONU. Malheureusement, nous avons manqué l'occasion d'y parvenir lors de cette COP. Dans l'intervalle, les actions menées par l'IC-VCM en matière de réglementation et de réforme du Marché Volontaire du Carbone revêtent une importance accrue.»
« Le secteur privé est particulièrement bien placé pour accélérer l'action climatique volontaire, alors que le monde doit attendre une année supplémentaire pour espérer des avancées concrètes dans les collaborations internationales lors de la COP29». - Ermenegilda Boccabella, Director of Public Affairs
Ermenegilda Boccabella, Director of Public affairs:
Le Marché Volontaire du Carbone, l'ensemble des parties prenantes et notamment les organismes d'autorégulation des marchés financiers travaillent à renforcer l'intégrité des marchés de conformité.
La mise en œuvre de plans d'action climatiques nationaux commence à impacter les entreprises, sous la forme d'exigences plus strictes en matière de transparence et de progrès accomplis par celles-ci dans leurs initiatives environnementales. La nouvelle législation sur la communication et l'évaluation des risques climatiques, telle que la directive de l'UE sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), apportera en effet un cadre plus contraignant pour le secteur privé en matière de transition climatique et de durabilité.
Parallèlement, et face à une multiplication des risques climatiques et un contexte géopolitique sensible, nous nous attendons à ce que les discours politiques s'orientent davantage sur la sécurité et l'indépendance énergétique, les transitions technologiques et les secteurs d'activité dynamiques, compétitifs et à faible émission. Les chefs des gouvernements pourraient traduire ces besoins en politiques ciblées soutenant le développement et le financement de technologies climatiques essentielles, en incitant les entreprises à adopter des modes opérationnels plus durables, en taxant les émissions et en veillant à ce que les marchés valorisent la gestion durable des ressources.
Toutes ces évolutions auront dans tous les cas, une influence sur l'activité et les priorités stratégiques des entreprises en 2024, leurs engagements et leurs communications environnementales. Le secteur privé est particulièrement bien placé pour agir et intensifier l'action climatique volontaire, alors que le monde doit attendre encore au moins une année pour espérer un alignement politique international, lors de la COP29.