Dans le cadre de la 3ème édition du Climate Leaders Forum en France, consacrée à la crise énergétique et ses implications pour les entreprises françaises, nous avons eu le plaisir d'accueillir Benoît Leguet, directeur général de l'I4CE, Institut de l'économie pour le climat.
Benoît Leguet est le directeur général d'I4CE – Institut de l'économie pour le climat depuis sa fondation en 2015. Il s'agit d'une association experte de l'économie et de la finance dont la mission est de faire avancer l'action contre les changements climatiques. A ce titre, il intervient fréquemment dans des événements ou des médias, pour représenter l'Institut. Benoît est ou a été également membre de plusieurs comités d'experts mis en place par les pouvoirs publics, notamment le Haut Conseil pour le climat.
Benoît accompagne depuis 2002 les décideurs publics, les institutions financières, les Etats et les collectivités locales pour intégrer le changement climatique dans leurs politiques et pratiques. Il a successivement été consultant dans une société de conseil, chef de projet puis directeur à la Mission climat de la Caisse des Dépôts, et directeur de la recherche de CDC Climat.
Ingénieur de l'Ecole polytechnique et de l'ENSTAParisTech, il est également titulaire d'un master en Economie d'AgroParisTech. Il parle français, anglais et espagnol.
Ce dernier nous livre son analyse de la situation énergétique en France et en Europe, ainsi que ses prévisions quant à l'impact de l'augmentation du coût de l'énergie sur l'activité et l'investissement climatique des entreprises. Il nous partage également sa vision en matière de planification écologique, et quelques conseils à destination des entreprises.
Quels sont les risques majeurs auxquels les entreprises françaises vont être confrontées avec l'intensification de la crise climatique ?
Benoît Leguet (BL): Le risque majeur pour les entreprises est de ne pas avoir préparé de stratégie de transition, avec un plan de financement associé, et donc ne pas avoir anticipé et budgété les investissements nécessaires à l'atteinte d'un objectif net zéro, et à la mise en œuvre de mesures d'adaptation aux conséquences du changement climatique. Aujourd'hui, la réalité du changement climatique est peut-être l'une des seules certitudes que nous ayons. C'est une erreur de ne pas la prendre en compte.
Comment les entreprises peuvent-elles s'engager aujourd'hui sur la voie de la transition climatique ?
BL: La transition doit se faire avec l'ensemble des acteurs économiques : les ménages, les collectivités, mais aussi et surtout avec les entreprises. Pour assurer la pérennité de leurs activités, les entreprises doivent s'engager aujourd'hui sur la voie de la transition climatique et adapter l'ensemble de leur chaîne de valeur. Celles qui ne font pas cet effort risquent malheureusement de disparaître.
Dans ce contexte géopolitique et économique, quelle est la première étape à mettre en œuvre ?
BL: Il y a des éléments que les entreprises ne maîtrisent pas (comme par exemple la guerre en Ukraine), mais il y en a d'autres sur lesquelles elles peuvent avoir une influence comme la conduite des politiques publiques au niveau européen et national.
La première étape pour les entreprises est de définir les trajectoires et les moyens dont elles ont besoin pour engager la transition climatique, engager le dialogue avec les différents organes - notamment politique - et collaborer pour trouver des pistes de solutions. En résumé : s'impliquer dans la construction de la trajectoire de transition des États.
Quel est le rôle de l'État justement dans la transition climatique et la définition des prix de l'énergie ?
BL: L'Etat alloue des fonds et facilite ainsi la transition des ménages, des entreprises et des collectivités vers plus d'efficience énergétique. Mais, ce sont ces acteurs qui vont contribuer à mettre en œuvre concrètement la stratégie de l'Etat.
Et lorsqu'une entreprise définit une trajectoire pour atteindre le net zéro et mieux s'adapter au changement climatique (contribuant ainsi aux efforts nationaux ou européens), elle doit déterminer le financement dont elle a besoin de la part de l'Etat.
L'Etat a également un rôle de planification des investissements. Pour aller vers plus de sobriété énergétique, il est par exemple indispensable d'améliorer l'isolation des bâtiments pour réduire la consommation et le gaspillage énergétique, de construire davantage de pistes cyclables pour augmenter l'utilisation des vélos, de développer les transports en commun pour limiter l'utilisation de la voiture, etc.
La planification et l'engagement de l'Etat sur des financements à moyen terme est nécessaire pour donner confiance aux acteurs privés et les inciter à investir eux aussi dans la transition climatique. Ceci concerne aussi bien les entreprises que les ménages.
Quels sont les principaux leviers pour sortir de cette crise énergétique ?
BL: L'investissement dans les énergies renouvelables, l'efficacité et la sobriété énergétique vont permettre aux entreprises de faire face à cette crise de l'énergie . Concernant la sobriété énergétique, des actions peuvent être mises en place rapidement, sans forcément recourir à des investissements massifs, comme par exemple la régulation du chauffage, le recours au télétravail ou au covoiturage. Et à court terme, un appui pour protéger les ménages, les collectivités, les entreprises, est indispensable pour éviter l'explosion sociale. Mais in fine ne nous leurrons pas, pour sortir de cette crise énergétique, il faudra investir.
Face à la crise, quelle est la situation en France par rapport au reste de l'Europe et du monde ? Y'a t'il des bonnes pratiques à reprendre de nos voisins européens ?
BL: La France commence à planifier les étapes de la transition : c'est probablement une bonne pratique pour les autres pays européens, pour qui la transition va parfois être encore plus difficile à mettre en œuvre. Cette stratégie qui commence à prendre forme comprend : l'évaluation des investissements climat annuels nécessaires (article 174 de la loi de transition énergétique et la croissance verte de 2015) ainsi que l'évaluation des besoins d'investissements pour la mise en œuvre de la stratégie bas carbone. Mais aussi la mise en place d'un Secrétariat général à la planification écologique.
Tout cela vient nourrir la construction de la stratégie française énergie climat.
Un élément manque encore : la France n'a pas de visibilité pluriannuelle sur les investissements publics et privés. C'est un problème fondamental car sans cela, l'Etat ne peut pas piloter la transition correctement ni embarquer les entreprises (en investissant dans les formations du personnel pour répondre aux nouveaux marchés de la transition par exemple). Une planification sans moyens budgétaires n'est pas une planification efficace.
Concernant l'énergie, l'Europe doit faire face à un défi majeur : se passer du gaz russe tout en évitant les énergies fossiles. Plusieurs solutions existent déjà : investir dans les énergies renouvelables, recourir à la sobriété énergétique et améliorer l'efficacité énergétique. Pour atteindre les objectifs net zéro en France et en Europe, les pays doivent définir un plan de transition mais aussi déterminer les ressources dont ils pourraient bénéficier de la part des acteurs privés, de l'Etat et de l'UE.
Aujourd'hui, le manque de visibilité empêche d'atteindre les objectifs fixés. Il existe bel et bien un processus d'évaluation des trajectoires de finances publiques des Etats (le semestre européen) mais le sujet du climat n'y est malheureusement pas abordé ! L'atteinte du net zéro ne sera pas possible sans pilotage de la transition climatique par les États membres.